Jean- Jacques Deluz par lui-même
« Toute ma carrière professionnelle s'est déroulée en Algérie : 51 ans de batailles, de bonheurs et de déconvenues, d'actions stimulantes avec des amis et d'affrontements à la bureaucratie.
Ayant quitté ma Suisse natale avec un diplôme tout frais d'architecte en janvier 1956, j'ai débarqué (je dirais "par hasard", mais on sait depuis les surréalistes que le hasard est objectif) à Alger, travaillé avec un bureau français d'architectes sur des milliers de logements (dont La Concorde à Bir Mourad Raïs, Taine à côté du Climat de France, les Apôtres à Constantine...) puis j'ai eu la chance de sympathiser avec les urbanistes de l'Agence du Plan d'Alger, dirigée par le meilleur urbaniste de son temps, Gérald Hanning. De 1957 à 1962, je me formai à cette discipline, dans un courant novateur très incompris à l'époque (le "Plan de Constantine" balaya nos préoccupations qualitatives), bien que l'Agence ait été, en France, un modèle qui suscita la création d'organisations similaires dans les grandes villes. Je repris la direction de l'Agence en 1959, après le départ de Hanning.
1962 fut l'année heureuse de l'Indépendance, mais aussi une époque de difficultés matérielles dramatiques dues à l'arrêt de toutes nos activités et la désertion des cadres français. Quand mon fils naquit en 1963, nous n'avions même pas de quoi le langer.
De 1964 à aujourd'hui, avec des hauts et des bas, des accidents de parcours, des réussites acrobatiques, des intermèdes à Ghardaïa, je maintins mon bureau d'architecte contre vents et marées et, de 1964 à 1988, j'enseignai l'architecture. Cette dernière activité fut gratifiante et, combinée à ma pratique permanente, me permit la réflexion et la remise en question constantes qui font progresser notre métier. C'est aussi en enseignant que je réalisai à quel point les filles étaient l'avenir du pays ; le machisme des garçons les orientait vers le formalisme et l'architecture monumentale et ils étaient intellectuellement plus passifs ; les filles privilégiaient le domaine sensible qui les orientait vers l'architecture à échelle humaine, et étaient intellectuellement très vives (bien entendu, il ne faut pas généraliser, que certains de mes brillants étudiants ne se vexent pas !).
En 1997, la création de la ville nouvelle de Sidi Abdellah (Mahelma) m'entraîna dans une expérience passionnante qui se concrétisa par une charte et par des actions allant des "plans directeurs" aux plans de quartiers, aux ensembles de logements et aux interventions ponctuelles d'aménagement (lacs, placettes, arrêts de bus, etc.). J'avais collaboré dans cette aventure avec Liess Hamidi, directeur de l'établissement public d'aménagement, qui mourut en juin 2004 (épuisé par les obstacles bureaucratiques et les jalousies) et ses successeurs me mirent à l'écart en juin 2006... Mais l'essentiel est de rester fidèle à ses idées dans toutes les circonstances… »