Ce fut une agréable sensation de lire ce témoignage "historique" qui pour moi était l'une des clés a comprendre comment les chose ont pu évoluer selon les uns ou se dégrader selon les autres , l'empreinte politique avait été toujours présente apparemment , et on le constate dans cet article publié sur la toile par l'un des pionniers a avoir enseigner l'architecture en Algérie : Mr Jean-Jacques Deluz
je voudrais aussi signaler que je ne fais que recopier mot par mot le témoignage d'un homme qui était là quand ça s'est passé ! mais que c'est-il passé ?
amusez vous bien...
Introduction
J’ai enseigné l’architecture pendant vingt-cinq ans. Je me pose souvent la question : ai-je perdu mon temps, n’aurais-je pas mieux fait de construire plus et d’exprimer mes idées à travers des réalisations, plutôt que de passer un message direct à des étudiants qui, peut-être, ne m’écoutaient pas ou ne me comprenaient pas ? La question est ouverte. Certains de mes anciens élèves en architecture, bons ou mauvais, pourront éventuellement y répondre. Mais je dois dire deux choses : la première est que, de toutes façons, c’est un métier passionnant, et que, dans le dialogue entre eux, l’enseignant et l’enseigné sont en position d’apprendre. J’en ai largement profité. La deuxième est que, par mon statut, j’ai réussi contre la réglementation elle-même, à maintenir parallèlement ma double activité d’enseignant et d’architecte libéral. A mon sens, aucun enseignement sérieux de l’architecture ne peut se faire hors de cette dualité, si difficile à assumer soit-elle.
Cette chronique comprend trois parties : les deux premières retracent mon parcours, ENABA et EPAU, sur le plan évènementiel. La troisième résume le support théorique qui, selon moi, doit porter l’enseignement de l’architecture.
Première partie : parcours, l’Enaba.
C’était en 1964, je marchais sur le boulevard du Télemly, et, devant l’entrée de l’école des beaux-arts, je croisai madame Cottin – Euziol. Elle était une très bonne architecte, on lui doit par exemple des logements collectifs sur la Bouzareah d’une qualité inhabituelle. On bavarde un peu et elle me dit à brûle-pourpoint : -viens enseigner avec nous, nous ne sommes pas assez nombreux. L’idée ne m’en serait pas venue, mais elle m’amena dans le bureau de Bachir Yellès et l’affaire fut conclue. On peut trouver cela bien léger : pourtant, dans le contexte historique, cela se justifiait, les quelques architectes français qui étaient encore là, Di Martino, Solivérès, et quelques autres, étaient sur le point de partir, et les « promotions de l’indépendance » créées par Abderrahmane Bouchama, le seul architecte algérien, avaient ressuscité l’école depuis 1963. Dans leur majorité, les nouveaux étudiants n’avaient par de diplômes, (presque aucun baccalauréat), les enseignants comme moi n’avaient que leur expérience et leur culture personnelle, mais il y avait une ambiance de pionniers, une cohésion dans la camaraderie, qui, à mon sens, remplaçait éruditions, thèses et diplômes : je ne fais pas ici du populisme, et je suis conscient des défaillances qu’il y avait à combler ; mais je me demande, en toute objectivité, si ce pragmatisme à la limite du volontariat n’avait pas des vertus supérieures aux complexités bureaucratiques de la future université.
La section d’architecture avait été dirigée par Claro, un homme aimable et de vieille culture, qui était l’auteur des bâtiments, où se mélangent un académisme maîtrisé et les influences stylistiques d’Auguste Perret ; le « parti », selon le vocabulaire des beaux-arts, y est parfaitement lisible et efficace : accrochage dans la pente et ouverture théâtrale sur la mer. Le peintre Yellès lui avait succédé dès 1964. L’école nationale d’architecture et des beaux-arts, (l’ENABA) dépendait du ministère de l’information.
Lorsque je commençai dans cette nouvelle pratique, (on peut même dire ce nouveau métier), je trouvai une situation de programme stagnante et résiduelle ; mais, cette même année, l’architecte Anatole Kopp fit équipe avec moi pour réorienter les études. Kopp, (aujourd’hui décédé) était marxiste et militant, ses travaux en Algérie, (Ouchaya à Alger, les Planteurs à Oran) intégraient fortement les facteurs sociaux : construire et former les gens dans un même geste. Il avait, par ailleurs, publié des ouvrages de référence sur l’urbanisme et l’architecture en Union soviétique. S’il apportait dans l’enseignement la conscience politique des paramètres socio – économiques, j’apportais pour ma part mon expérience de l’urbanisme, de l’intégration aux sites et aux paysages, de l’accrochage au sol, de la construction, et de l’esthétique en tant que géométrie de l’espace, maîtrise des proportions harmoniques, modernité.
Dans les années qui suivirent, Kopp nous quitta, et le corps enseignant s’étoffa par des apports de provenances diverses, du « pied rouge » dogmatique venu d’Uruguay, (Chifflet), au réactionnaire franco-vietnamien, (Kam Phet) ou au fonctionnaliste italien, (Datta). Pour équilibrer le débat, je fis venir de mon côté quelques collègues suisses, (Wintsch, Rossier), ce qui faisait dire que le « clan des suisses » dirigeait l’école. Il y eut aussi des jeunes italiens de très bon niveau qui s’inscrivaient dans des courants intellectuels parallèles aux nôtres. J’avais acquis la confiance du directeur, et je rédigeai une « doctrine » et un programme qui furent adoptés. Mais, dans les années 68 – 69, les choses se dégradèrent. Les étudiants militaient dans leur union, certains avec virulence et conviction, il y avait Mahdi, Tewfik Guerroudj, Mohamed Atmani, et, naturellement, j’étais de leur côté et eux du mien. La situation fut assez explosive, le ministère nomma un vieux mandarin italien, De Luigi, à la direction des études.
Les étudiants tentèrent d’imposer l’idée d’une gestion collégiale dans laquelle ils auraient eu leurs voix, tout cela sombra dans la confusion et la section d’architecture fut dissoute en 1970 pour être transférée dans le cadre universitaire à l’école polytechnique d’architecture et d’urbanisme (l’EPAU) dont les premiers bâtiments étaient en voie d’achèvement à El Harrach, suivant le projet d’Oscar Niemeyer. Quant à moi, j’avais démissionné en 1969.
Mon bilan de cette époque n’est pas négatif : l’école était vivante, le nombre d’étudiants raisonnable, (bien qu’il n’y eut encore que peu de filles), ce qui permettait les contacts personnels, la bureaucratie ne pesait pas sur nous. J’avais livré des batailles ouvertes contre Chifflet qui voulait instaurer la discipline communiste, contre Kam Phet qui voulait revenir aux programmes des beaux-arts des années 50, contre Datta qui aurait instauré la technocratie. Toutefois, il est bien difficile d’évaluer l’apport positif ou négatif de notre enseignement sur des architectes qui ont accédé aujourd’hui aux postes élevés de l’administration ou de l’enseignement, ou à l’activité libérale. Dans ces chroniques, j’ai beaucoup évoqué la faiblesse qualitative de l’architecture en Algérie, et la part de responsabilité que nous avons tous, enseignants, étudiants, administrations, dirigeants politiques, est plus liée à l’histoire et au développement du pays qu’à nos actions personnelles, qui étaient souvent à contre-courant.
J.J.Deluz