COMMENT NE PAS CONSTRUIRE UN AUTRE MILLION DE LOGEMENTS
par FAYçAL OUARET *
Bientôt candidat entrant en campagne, le Président de la République va très certainement faire le bilan de la démarche pour construire le million de logements (le mandat se finit...) et appeler à la mobilisation générale pour probablement construire un (autre !) million de logements.
Le temps (le ton ?) d'une guerre. Sauf que nous risquons de ne plus en avoir les moyens ce coup-ci... La mobilisation sera décrétée au nom d'un slogan, en tout état de cause. Contester le mot d'ordre, c'est passer pour le traître de service. Alors, à la guerre comme à la guerre, tout le monde ira de sa stratégie. Il faut mettre son grain de sel. A défaut de donner toute une recette. Et surtout faire taire les mauvaises langues, les objecteurs de conscience et autres crétins définitifs. Dans la préparation affairée à cette «mère des batailles» que l'on s'apprête à livrer aux fins d'annuler (pour un moment ?) la demande toujours pressante en logements, faut-il prendre le risque de fâcher nos chers décideurs en leur posant des questions inconvenantes ? Nous construirons un autre million de logements en cinq ans, point barre. Où, comment, quelle qualité, avec qui, quel argent, quels moyens, quels ouvriers... Ce serait là des détails avancés par des chipoteurs en mal de paraître, à régler au fur et à mesure. On ne s'en embarrasse pas pour le moment.
Lancer d'abord, réfléchir ensuite. Et s'il le faut, prendre la responsabilité d'essuyer les plâtres. N'est-ce pas le bien-fondé de toute administration, soucieuse de fidélité aux démarches d'échecs qui restent son seul bilan constant ? Au pire, des ministres partiront, mais les couloirs et autres méandres des ministères resteront hantés des mêmes rapports chiffrés toujours faussement révélateurs. Pour ne pas dire autre chose...
Est-il besoin encore d'inventer de nouvelles formules, autour d'une institution-star (du genre «monte là-haut, tu verras mon AADL»), pour donner l'impression de rompre avec les vaticinations de ses prédécesseurs ?
Quelle nouvelle recette pour quelle envie d'y laisser son empreinte allons-nous devoir regarder d'un oeil admiratif pour que, quelques mois plus tard, nous retrouvions les mêmes réalités si dures à assumer ? Nous errons d'un dépit à un autre depuis un demi-siècle, tandis que nos valeureux responsables continuent de nous faire croire que tout est dans leurs capacités «innovatrices». A chaque étape suffit son miracle.
Voilà trente ans que nous poussons allègrement nos moindres coins de cité à prendre des allures de monstre dévoreur de notre joie de vivre en société. Toujours promise pour la prochaine livraison, à chaque fois un peu plus compromise.
Alors que nous sommes persuadés d'emblée que ce que nous allons entreprendre est l'exact contraire de ce qu'il y a à faire, nous allons plonger, toutes sujétions comprises, dans une nouvelle aventure. L'issue en sera, fatalement, l'amère déception de ceux qui auront le dégoût de vivre nos écarts de conduite au grand jour et à longueur de désespoir.
Non contents de le réinventer chaque jour depuis trois générations, jusqu'à voir nos enfants engloutis par le terrible rêve d'être partout heureux sauf chez eux, nous continuons aveuglément de croire que faire pousser du logement en périphérie des villes reste la seule issue pour corriger les erreurs commises hier.
Tandis que sommeillent, enfouies au plus profond de nos incapacités manifestes à les mettre en application pour de bon, des solutions pourtant d'une évidence flagrante.
1- Faut-il crier encore plus fort cette vérité que l'on ne veut pas entendre : plus du double du nombre de logements à construire, soit deux millions de logements au bas mot, le sont déjà, et depuis des années ?
Ces logements sont inhabités, fermés, inachevés, écroulés dans des vieilles villes agonisantes, détournés en locaux commerciaux ou sièges d'activités tertiaires, à vendre sous forme de carcasse ou d'étages à terminer ou encore de logements jamais habités, toujours en chantier au-dessus d'un RDC occupé par des activités lucratives, lots de terrain à bâtir désespérément vides de toute construction depuis «v'là le temps», logements situés dans un grand ensemble à requalifier (pas à maquiller, nuance !), logements en centre-ville dépourvus des moyens de confort. Tant et tant de variations sur la symphonie du prêt-à-habiter...
Pourquoi l'Etat ne se donnerait-il pas le courage politique, (d'abord et avant tout !), ensuite les moyens légaux et financiers, institutionnels, publicitaires afin de pouvoir récupérer, compléter ou remettre en ordre cet énorme gâchis ?
Cela coûterait moins cher en argent et en temps. Peut-être pas en capacité de persuasion. Les tâtonnements successifs de toutes ces années ont eu pour seul mérite de produire toute cette abondance.
Il suffit de chercher coûte que coûte à en corriger les défauts aujourd'hui. Il y va de notre argent, mais aussi de la santé de nos villes et de celle de toute notre société. Elles sont malades de toutes ces constructions mal habitées, à moitié effondrées, inachevées, hideuses, qui en remplissent les centres et périphéries immédiates et obligent à étendre inconsidérément la ville en des banlieues infâmes, lointaines et totalement dépourvues de toute convivialité. Pour offrir l'alternative. Le temps d'un déménagement...
Reproduire plus loin les mêmes errements à corriger plus tard... Toujours au nom d'une politique de l'instant.
L'urbanité ne s'invente plus, elle s'entretient.
A la limite, il n'y a plus besoin de mettre en chantier un seul nouveau logement à l'horizon 2014, mais concentrer toute l'énergie du pays à récupérer et mettre à disposition ces milliers de logements. A requalifier chaque bout de ville, aussi.
2- L'auto-construction est crime ! Il faut le décréter !
Aucune personne, si elle n'est pas qualifiée pour et possède les moyens de son ambition, ne peut prétendre construire, quand bien même il s'agirait de son propre abri familial. C'est contraire au développement de la société, à la division sociale du travail, à toutes les Lois de la République.
La construction de logements individuels, comme la construction de logements collectifs, comme la construction de lycées, d'écoles primaires ou de casernes de pompiers, doit obéir aux mêmes règles et contrôles et ne pas prétendre avoir le privilège d'y échapper, ce qui a provoqué depuis trois interminables décennies bien des catastrophes et le chaos urbain que nous constatons et essayons, à coups d'engueulade présidentielle et de textes de lois stériles, de toute façon inefficaces, d'en corriger les effets. Mais pas la cause.
3- Le lotissement devrait être notre seul outil de production urbaine.
A défaut d'inventer les formes urbaines que nous ne sommes pas en mesure d'imaginer pour continuer la Ville, au lieu de saupoudrer nos champs en périphérie urbaine d'immeubles isolés reliés par de vagues chemins appelés pompeusement voies primaires - secondaires - tertiaires, parce que nous sommes conscients qu'il ne s'agit ni de rues, ni d'avenues, ni de boulevards, (ni de zenka, ni de derb, ni de z'kak, ni de..., ni de... ), il est préférable de généraliser obligatoirement le recours au lotissement comme mode de productions de la Ville.
Il faut en finir avec les POS générateurs de tant de terrains vagues dont on ne connaît même pas le propriétaire ni le destinataire, un plan supposé nous dire comment faire alors que ses propres concepteurs ne savent pas.
4- La ruralité n'est pas une tare, c'est une qualité de vie.
Le logement rural ne devrait pas être un pis-aller, une sorte de colmatage pour éviter que les derniers des Mohicans de nos campagnes se précipitent pour habiter en ville dès qu'ils en ont l'occasion.
Ce devrait être une réalisation de logements dotés du confort nécessaire pour en jouir en toute quiétude. Et surtout, adapté chacun à une situation spécifique. A chaque fois que l'on parle d'aide à la construction de logements ruraux, on a l'impression de sacrifier une partie de la population, condamnée à subir ce mode de vie et de ne pouvoir profiter du «bonheur» de vivre en ville. Il faut donc s'atteler à retrouver cette qualité de vie de village, liée à un mode de production aujourd'hui florissant, grâce aux aides importantes qui ont permis à l'agriculture de se relever de sa profonde torpeur. Il est temps de donner aux populations rurales les moyens de vivre décemment à la campagne.
Et dans nos villages aussi, les habitations sont souvent déjà construites. Il ne s'agit pas de venir imposer une manière unique de voir, en parlant un langage que ne comprennent pas les concernés. Il suffit d'écouter les fellahs, le plus souvent. Eux ont la solution adaptée à leurs besoins.
Voilà les véritables défis à relever aujourd'hui. Et ce serait une énorme réussite que d'en envisager la mise en oeuvre, déjà. Mais qui oserait ?
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* Architecte- lequotidiendoran 26 11 08