Kenadsa : ville d'art, d'histoire et de déboires
Malgré les changements profonds qui s'y sont opérés, cette ville du Sud-Ouest du pays demeure encore dans les esprits, avec cet aura d'un passé exceptionnel, d'une brillance qui perdure, rémanente dans la mémoire de ses habitants et aussi dans celle de beaucoup d'autres gens : Algériens, Maghrébins, Européens et autres qui y ont vécu ou qui l'ont connue.
Elle a rayonné spirituellement, culturellement et économiquement sur toute la région pendant presque trois siècles. Mais un rayonnement, sommes-nous tentés de dire, qui aurait été autant resplendissant qu'éphémère et ce, au regard des immenses vicissitudes de l'histoire mouvante des hommes, de leurs racines qui se perdent dans les ténèbres du temps. Ainsi, la Kénadsa d'antan, en quelque sorte, serait-elle cet astre éteint après avoir brillé longtemps, mais dont la lumière continuerait à nous parvenir par une mystérieuse illusion d'optique, parce que la distance qui nous sépare, se mesurerait en années-lumière. Autrement dit, il nous est resté et continuent à nous parvenir encore des restes, parfois des bribes de cet éblouissant et étonnant passé, parce qu'au demeurant, il n'est pas si loin de nous.
Après un déclin évident, Kénadsa continue aujourd'hui à vivre « sur ses lauriers », un peu à l'instar - mais à sa petite échelle - de la civilisation arabo-musulmane dont les irréductibles tenants, ne se lassent pas de nous seriner son glorieux passé, histoire de nous dire (de se dire surtout), que «nous avons été intelligents et que, si nous l'avons été, c'est que nous pouvons encore l'être de nouveau». Malgré quelques tentatives louables mais néanmoins dérisoires, Kénadsa essaie, tel le phénix de la légende, de renaître de ses cendres, de retrouver ne serait-ce qu'une petite partie de son lustre d'autrefois. Le retrouvera-t-elle jamais ?
Des travaux de réfection ont été entrepris pour la restauration - du moins d'une infime partie - du vieux ksar actuellement «ruiniforme» (selon une expression imagée de l'un de nos anthropologues), et ce, par des moyens et des matériaux traditionnels. Cette opération, qui ressemble hélas à un cautère sur une jambe de bois, a concerné la venelle principale, une partie du mur d'enceinte du vieux cimetière, et quelques vieilles maisons de particuliers. Elle a pour mérite d'avoir donné l'illusion d'une certaine résurrection à un ksar moribond. En effet, les alentours des deux vieilles mosquées connaissent une certaine affluence surtout pendant les jours des fêtes religieuses. C'est une population bigarrée qui envahit intermittemment ces venelles, en quête de baraka et de bénédictions du premier Patron de la ville d'abord (Sidi Abderrahmane) mais surtout celles de son « nouveau et grand Patron » : Sidi Mhamed Ben Bouziane, enterré avec certains de ses proches dans sa propre mosquée. Hommes, femmes et enfants défilent devant les cénotaphes en bois sculpté (darabiz, au singulier derbouz) dressés sur les sépultures des défunts. Dévotement, les quêteurs de baraka défilent toute la journée devant ses monuments funéraires souvent couverts de satin vert, touchent les tentures et y déposent de pieux baisers. Si les travaux de restaurations des constructions urbaines n'ont pas donné les résultats probants que leurs promoteurs souhaiteraient, fort heureusement, dans d'autres domaines, celui de l'art notamment, il y eut quelques réussites tangibles. Ainsi, l'on peut citer un renouveau certain dans le domaine des musiques traditionnelles et liturgiques, et aussi dans d'autres disciplines culturelles (bibliophilie par exemple). Le groupe musical « El Farda », après beaucoup d'efforts et de recherches, a pu sauver et remettre au goût du jour, une partie du répertoire de la musique classique kénadsienne, composé essentiellement de vieilles qassidat du cru et aussi celles communes à toutes les vieilles villes du Maghreb. Mais hélas, beaucoup de ces vieilles qassidat kénadsiennes ont été perdues à jamais. Ce groupe (El Farda), que les festivals de musique populaire ont fait connaître aux Algériens et au monde depuis quelques années, remporte succès sur succès et est aujourd'hui connu sur la quasi-totalité du territoire national et en dehors de nos frontières. Il a représenté le pays, dans plusieurs tournées à travers toute la France lors de « l'Année de l'Algérie en France ». Sur le chapitre des manifestations culturelles, il a représenté l'Algérie au Canada, au Maroc, en Libye, en Tunisie et dans diverses autres villes du Moyen-Orient et du monde. Autre particularité de ce groupe, il est capable de passer sur scène avec une faculté époustouflante d'un registre musical, d'un style à un autre : du classique maghrébo-kénadsien aux variétés les plus diverses tel le gnaoui, le issaoui, le saharaoui etc. Autrement dit, il excelle aussi dans les variétés, ceci avec des intermèdes animés de « taqtoqate » à subjuguer littéralement le public le plus exigeant.
Ce n'est pas un hasard si, cette année, ce sont les dirigeants du groupe «El Farda» qui ont été chargés par la ministre de la Culture Khalida Messaoudi, d'organiser le troisième Festival national de la Musique «Gnaoui» à Béchar. Donc, pendant plusieurs jours, des groupes venus des quatre coins du pays se sont produits sur la scène du cinéma « Le Municipal » de Béchar. Le Groupe «MEDJEBER» de Kénadsa a eu le premier prix. Nous voudrions signaler particulièrement la monter en puissance de ce groupe que l'avenir ne manquera pas de consacrer dans ce style. En effet, MEDJEBER, un artiste confirmé, qui est passé de la variété à un style « Gnaoui » qu'il a beaucoup « trituré » pour obtenir des compositions heureuses. D'ailleurs, il refuse cette appellation de « gnaoui » qui, dit-il, nous vient de l'étranger et lui préfère le « Diwane », à Kénadsa on dit aussi « Lembita ». Le mérite de MEDJEBER est d'avoir introduit dans ce style (Le Gnaoui) qui se joue sur l'échelle pentatonique, le limitant à cinq notes, des variations qui font appel à l'échelle heptatonique (sept notes) avec des gammes (makamat) arabes : cette osmose des genres donne une musique originale où tous les modes nationaux peuvent se retrouver harmonieusement.
Tous ces efforts méritoires ne gagneraient-ils pas d'être sérieusement encouragés non seulement par les pouvoirs publics et la société civile, mais aussi par tous les «Amis de Kénadsa» : il s'agit d'un patrimoine national en péril.